Éd. du Canoë, Juin 2021
Lecture par Claire Fourier
Il était une fois une plage Atlantique. – Un livre comme une épure.
Ana habite une petite maison devant la plage. Manuel, son mari, est maître-nageur. Ils sont heureux. Ana frotte avec une joyeuse énergie, dans les baraques en bois, les enfants des familles venues en vacances et qui sortent du bain. On est au Portugal, mais on pense à Mort à Venise. Ana offre des herbes cueillies dans son potager ; l’odeur du sel marin se mêle à la senteur de la lavande. Le mari d’Ana meurt. Ana n’est plus la même. Sa vitalité s’effondre. Elle fait les gestes qu’il faut quand il faut, sans plus y mettre du sien. On pense à Bartleby : « I would prefer not to. » Ana préfèrerait ne pas, fait comme si elle voulait, décalée, distraite. Elle se met à boire. Un peu. Beaucoup. Elle arpente la plage, les dunes, pensive. Un jour, un cousin revendique la propriété du précieux potager d’Anna. Elle se laisse conseiller, en appelle à la justice, se rend au tribunal, voit des gens arrogants, des gens affligés, et fuit avant la séance ; elle perd le procès, ça lui est égal. Elle rentre à la maison, s’assoit sur l’escalier de granit face à l’Atlantique, contemple les vagues, la marée, parle au vent, marche dans l’eau, regarde au crépuscule le soleil glisser sur les pierres chaudes qui deviennent fraîches ; elle se dit qu’elle n’a besoin de rien d’autre que de cette beauté. Quand même. À la maison, il y a la photo de son mari ; il lui manque. Un jour elle se couche épuisée, et puis elle meurt.
Ce n’est pas déflorer ce très beau texte que d’évoquer le déroulement de l’histoire (est-ce une histoire ?) car l’essentiel est ailleurs : l’essentiel est dans la poésie de cette prose et la puissante évidence des choses exprimées. Non que les phrases soient particulièrement chantantes, la force de la poésie réside ici dans la manière concise et une langue quasi translucide qui distille une atmosphère.
On palpe quelque chose d’impalpable.
Le lecteur voit le vert de l’Atlantique, entend crisser le sable blanc, hume le parfum mêlé des algues, du romarin et de la menthe.
On ressent tout cela au fond de soi. Un air très doux gagne nos poumons, une part de nous devient aérienne. Le temps passe, et puis voilà. Ce qui est vrai est tellement simple.
Voici de la haute prose poétique. Dès les premières pages, on sait qu’on est en face d’un véritable écrivain.
Je ne connaissais pas Sophia de Mello Breyner, honte à moi. Colette Lambrichs connaissait cette voix majeure de la littérature portugaise et a traduit le texte.
En 50 pages, l’essentiel de la condition humaine s’impose. Plutôt l’éternel féminin est là, imparable, – apaisant à une époque où parfois un féminisme exacerbé bouscule, égare la femme (et sa langue). Une « fileuse de destin » nous remet les yeux en face des trous car on est saisi, mais avec quiétude du fait de la langue subtile, par la belle et noble figure d’Ana. Elle est désormais en nous, on ne l’oubliera plus.
Une lecture saine et bienfaisante par les temps qui courent (courent trop vite).
Un mot pour résumer ce livre ? Il était une fois une plage atlantique est une épure.
Avec la simplicité et le raffinement que suppose l’épure.
Un autre mot. Il était une fois une plage atlantique aurait pu s’intituler Du sable dans les yeux d’une femme. Car il était une fois et il était toutes les fois.
(Sophia de Mallo Breyner. « Il était une fois une plage atlantique ». Éd du Canoë, juin 2021. 47 p., 10 euros.) En librairie ou sur le site du Canoë. (Les livres du Canoë ne sont pas diffusés par Amazon).
12 juin 2021
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