Éd. du Canoë, février 2021
Lecture par Claire Fourier
L’Île des morts, de Böcklin. – Pierre Klossowski disait de l’artiste qu’il était forcément un monomaniaque (il expliquait ainsi ses multiples portraits de Roberte).
Il avait raison. À quoi reconnaît-on un écrivain (le différencie-t-on d’un journaliste ou d’un plumitif) ? À cette monomanie : à une intimité avec soi-même, à des récurrences, à un ton issu du passé et de la sensibilité, à une scansion de motifs rythmiques singuliers, à un tempo, – au prisme à travers lequel l’auteur voit le monde et approfondit continument cette vision.
Jean Pichard a écrit deux livres. Tous les deux sont marqués par l’onirisme, le fantasme de l’île. « Lisbonne disparaît » évoque cette ville comme un bloc qui se détache du Portugal et s’en va à la dérive, île inquiétante, avec les habitants éperdus, contraints de vivre en autarcie.
Il s’attache, dans le livre qui vient de paraître, à l’Île des morts, le tableau d'Arnold Böcklin. On retrouve la présence de l’eau, de l’élément instable ; on retrouve le thème de la disparition/apparition ; on retrouve les états seconds qui sont souvent les plus vrais.
Jean Pichard me donne l’impression d’un homme penché au bord d’une falaise et qui regarde bouger le monde en bas. Il est un peu le « Voyageur au-dessus de la mer des nuages » de C.D. Friedrich, sauf qu’il cède au vertige, y évolue et nous embarque à sa suite dans une atmosphère irréelle et… la barque de Caron.
L’écrivain évoque ainsi Böcklin (1827-1901), son itinéraire, ses amis, son travail, les aléas du tableau de 1880 dont le peintre suisse donna, sans qu’on ait jamais su à quel lieu exact il faisait référence, cinq versions, toutes spectrales, et dont il nous dit que Hitler en possédait une au Berghof.
Et, de façon très originale, il met en parallèle le peintre et un photographe, Franz Schenski (1871-1957), qui s’intéressa à une autre île, bien réelle, Heligoland en mer du Nord, martyrisée par Hitler et devenue ensuite non moins spectrale.
Le livre nous fait aller venir entre le peintre et le photographe, l’Île des morts et Heligoland (Terre sacrée), entre deux siècles ; on navigue et se perd entre de multiples noms propres vite oubliés et qui sont là, en fait, comme des éclairages historiques ou géographiques épars, disons des balises pour se repérer sur les rides de l’eau obscure, entendre leur chuchotement d’outre-tombe, stabiliser l’atmosphère solennelle et fantomatique suscitée par la falaise rocheuse et les noirs cyprès, donner un peu de réalité au paysage lunaire et apaiser l’inquiétude de l’homme seul, debout face à l’image de son suaire.
Sous-titré « Le roman d’un tableau », Le livre est bâti sur un flash-back et des phrases courtes et claires qui ajoutent à la palpitation suscitée par le mystère. Le lecteur se laisse prendre à une sorte d’envoûtement qui le conduit, plus que ne le ferait une étude strictement historique, à aborder (littéralement) le célèbre tableau : on ne résiste pas à l’attrait mélancolique des atmosphères fantomales.
L’Île des morts, de Böcklin. – Pierre Klossowski disait de l’artiste qu’il était forcément un monomaniaque (il expliquait ainsi ses multiples portraits de Roberte).
Il avait raison. À quoi reconnaît-on un écrivain (le différencie-t-on d’un journaliste ou d’un plumitif) ? À cette monomanie : à une intimité avec soi-même, à des récurrences, à un ton issu du passé et de la sensibilité, à une scansion de motifs rythmiques singuliers, à un tempo, – au prisme à travers lequel l’auteur voit le monde et approfondit continument cette vision.
Jean Pichard a écrit deux livres. Tous les deux sont marqués par l’onirisme, le fantasme de l’île. « Lisbonne disparaît » évoque cette ville comme un bloc qui se détache du Portugal et s’en va à la dérive, île inquiétante, avec les habitants éperdus, contraints de vivre en autarcie.
Il s’attache, dans le livre qui vient de paraître, à l’Île des morts, le tableau d'Arnold Böcklin. On retrouve la présence de l’eau, de l’élément instable ; on retrouve le thème de la disparition/apparition ; on retrouve les états seconds qui sont souvent les plus vrais.
Jean Pichard me donne l’impression d’un homme penché au bord d’une falaise et qui regarde bouger le monde en bas. Il est un peu le « Voyageur au-dessus de la mer des nuages » de C.D. Friedrich, sauf qu’il cède au vertige, y évolue et nous embarque à sa suite dans une atmosphère irréelle et… la barque de Caron.
L’écrivain évoque ainsi Böcklin (1827-1901), son itinéraire, ses amis, son travail, les aléas du tableau de 1880 dont le peintre suisse donna, sans qu’on ait jamais su à quel lieu exact il faisait référence, cinq versions, toutes spectrales, et dont il nous dit que Hitler en possédait une au Berghof.
Et, de façon très originale, il met en parallèle le peintre et un photographe, Franz Schenski (1871-1957), qui s’intéressa à une autre île, bien réelle, Heligoland en mer du Nord, martyrisée par Hitler et devenue ensuite non moins spectrale.
Le livre nous fait aller venir entre le peintre et le photographe, l’Île des morts et Heligoland (Terre sacrée), entre deux siècles ; on navigue et se perd entre de multiples noms propres vite oubliés et qui sont là, en fait, comme des éclairages historiques ou géographiques épars, disons des balises pour se repérer sur les rides de l’eau obscure, entendre leur chuchotement d’outre-tombe, stabiliser l’atmosphère solennelle et fantomatique suscitée par la falaise rocheuse et les noirs cyprès, donner un peu de réalité au paysage lunaire et apaiser l’inquiétude de l’homme seul, debout face à l’image de son suaire.
Sous-titré « Le roman d’un tableau », Le livre est bâti sur un flash-back et des phrases courtes et claires qui ajoutent à la palpitation suscitée par le mystère. Le lecteur se laisse prendre à une sorte d’envoûtement qui le conduit, plus que ne le ferait une étude strictement historique, à aborder (littéralement) le célèbre tableau : on ne résiste pas à l’attrait mélancolique des atmosphères fantomales.
(Jean Pichard, « L’Île des morts, » Ed. du Canoë, février 2021)
L'Île des morts, le roman d'un tableau, Jean Pichart, Editions du Canoë, 144 p., 15 euro.
Si l'art d'Arnold Böcklin (1827-1901) peut paraître bien désuet aujourd'hui (il a tout de même été la première inspiration de Giorgio De Chirico), les diverses versions de son Île des morts n'a jamais cessé de fasciner. Pour d'aucuns, il s'agit du cimetière qui se trouve dans la lagune de Venise, pour d'autres, il est question du cimetière qui se trouve désormais au milieu du périphérique de Florence (et on lui a même donné ce nom). L'auteur a rajouté une autre hypothèse inattendue. Quoi qu'il en soit revenons en arrière : le jeune Bâlois est aller étudier les beaux-arts à Düsseldorf en 1843 où il est resté deux ans. Son maître de prédilection était Johann Wilhelm Schirmer. Il retourne ensuite dans sa ville natale et il y fait la connaissance de Jacob Burchardt, qui s'intéresse à lui et l'encourage. Il l 'initie à l'art de la Renaissance et le jeune homme fait son Grand Tour. À Rome, où il réside de 1850 à 1857, il rencontre Angela Pascurri, qu'il épouse. Et il travaille dans l'esprit de la peinture ancienne. En 1860, il enseigne à l'École des Beaux-Arts de Munich. Après quoi, il retourne à Rome et visite les fouilles pompéiennes. De nouveau à Bâle, il se voit commandé plusieurs fresques avec des sujets mythologiques. Il décide alors de retourner en Italie et cette fois, il s'installe à Fiesole, tout près de Florence. Il se lie d'amitié avec Hans von Marées. Du haut du petit bourg perché, il a eu l'idée en 1879 ou au début de l'année 1880 de concevoir le tableau qui le rendra célèbre, L'ïle des morts (Rachmaninov s'en inspirera pour son grand poème symphonique pourtant le même titre qu'il composera en 1909). Böcklin fait cinq versions jusqu'en 1886 de la même composition, avec des variations assez notables sans jamais altérer l'aspect général, avec les hauts ifs emprisonnés dans une muraille de rochers âpres. Max Klinger a tiré de cette toile une gravure assez fidèle qu'il a réalisée en 1890. Jean Pichard a rapproché l'île sans doute fictive du peintre d'une île bien réelle, Heligoland, qui a été échangée par les Anglais avec Zanzibar en 1890 (cette île a une importance stratégique puisqu'elle contrôle l'estuaire de l'Elbe). Un photographe a consacré une bonne partie de sa vie à la scruter et a réalisé d'innombrables clichés. Bon nombre ont été détruits pendant la dernière guerre. Mais ce qui a pu être sauvé montre que l'architecture de cet endroit à bien des traits communs avec l'île de Böcklin. Enfin, il a voulu nous brosser le portrait d'un Böcklin révolutionnaire pendant les événements de février et de juin 1848. Serait-ce le fruit de son imagination ? Quoi qu'il en soit, ce roman se lit avec un grand plaisir.
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