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Voici la réédition d’un ouvrage publié en 1955 par l’essayiste hongrois Emil Szittya (1886-1964).
Le titre résume bien l’entreprise : cerner Soutine, son environnement artistique, son époque, celle de l’école de Paris, regroupant nombre d’étrangers notoires.
De la formation de Soutine aux années de guerre, l’essayiste suit les longs développements artistiques et créatifs d’une personnalité, rebelle, difficile à saisir, assez misanthrope, née juif en Lituanie, à la fin du XIXe siècle.
Haineux, ne croyant guère à l’amitié, farouchement indépendant, d’une hygiène toujours douteuse, Soutine fut un solitaire frustré, fréquentant les bordels, s’adonnant à la boisson, n’ayant connu pour ainsi dire aucune relation amoureuse durable.
D’une jalousie féroce à l’égard des autres artistes (Krémègne, Modigliani, Picasso…), il connut à Paris (Montparnasse) une vie misérable durant de nombreuses années.
L’Ecole de Paris trouve ici un descriptif intéressant : plusieurs artistes, en exil de leur patrie, trouvèrent ici lieux et formations, ils influencèrent leurs contemporains. L’exemple frappant de Modigliani, de sa bohème féconde, illustre à merveille le propos de Szittya.
Peignant sur des toiles déjà barbouillées, rachetées à vil prix, le peintre creuse des thèmes ordinaires (portraits, natures mortes), s’interdisant toute harmonie, toute construction : le génie, qui voit en Rembrandt un maître, le copie jusqu’à l’excès et son « Bœuf éventré », créé d’après un modèle qui devait pourrir dans son atelier, montre l’intérêt pour les chairs pantelantes, crues, nues. Ses paysages nocturnes, de sites français mais méconnaissables, sont de la même veine désespérée.
Son succès, favorisé par des collectionneurs avisés, comme Girardin ou Zamaron, vers 1923, l’est aussi par sa présence efficace dans plusieurs galeries.
Mais ce succès, le peintre n’en veut pas, fermant sa porte pour échapper à ceux qui le « tapent », sur la base de ses années de bohème. Durant l’occupation, il va jusqu’éventrer ses propres tableaux.
L’essai révèle ainsi nombre de facettes d’un grand artiste, torturé par ses démons, les souvenirs lituaniens, les souffrances des années de vache maigre, ses désillusions.
Il ne peint presque plus, les dernières années.
Une riche biographie accompagne l’essai et permet au lecteur de le suivre, année après année.
Bref, une réédition intéressante, par laquelle le lecteur d’aujourd’hui apprend beaucoup sur l’univers artistique d’un génie mal reconnu, ainsi que de l’époque riche elle aussi en mutations et rencontres.
Ce petit livre échappe aux genres classiques quand il s'agit de parler d'un artiste de premier plan. Emil Szittya a choisi d'en faire un « roman-reportage » où il remonte jusqu'aux années dix et vingt. Chaïm Solomonovic Soutine, né en Biélorussie en 1893 au sein d'une famille juive. Il a étudié dans une académie d'art à Vilnius entre 1910 et 1913. Puis il est venu à Paris, a trouvé à se loger à La Ruche et s'est lié d'amitié avec Michel Kikoïne, Pinctus Krémègne (qu'il avait connu à Vilnius) et Amedeo Modigliani. Si les premières années de sa vie d'exilé volontaire ont été difficiles, Soutine a tout faire pour créer une légende autour de lui en se faisant passer pour un artiste maudit. Il voulait se fondre dans le moule de tous ces étrangers venus en France tenter leur chance.
La réalité est tout autre. Il s'est inscrit à l'Ecole des beaux-arts et a suivi l'enseignement de Fernand Cormon. Son inspiration est à la fois classique (Rembrandt, Chardin sont parmi les peintres qu'il aime le plus) et moderne. Il fait une série de dix tableaux en peignant des carcasses de bœuf, manifestement inspirées de Rembrandt. Ses voisins se sont plaints du sang qui coulait sous sa porte et se répandait dans les escaliers !
L'auteur met l'accent sur le fait qu'il n'avait aucune relation avec les artistes français. Et il a tenu à souligner que le fauvisme comptait plus d'étrangers que de Français. Au début, il ne fréquentait aucun artiste français, sans doute parce qu'il ne pratiquait encore que le yiddish et le russe. Ses relations avec les femmes étaient compliquées car il était timide. Et il ne dédaignait pas les maisons de tolérance. Il aurait connu par la suite une grande histoire d'amour, mais l'auteur ne nous révèle pas l'identité de l'élue de son cœur. En outre, il faut savoir que le marchand de tableaux d'origine polonaise Léopold Zborowski (qui était le marchand de Modigliani) s'est intéressé à son travail et a vendu plusieurs de ses œuvres et l'a envoyé peindre dans le Midi, à Céret. Soutine n'en continuait pas moins à peindre sur les toiles usagées ! Et il ne faut pas oublier que Soutine a continué à s'habiller avec des loques de pauvres.
Les premiers à avoir acheté ses œuvres sont eux-mêmes des artistes : Oscar Miestchaninoff et Indenbaum. Il eut de curieux collectionneurs comme l'énigmatique Netter et le commissaire Zamaron, le docteur Girardin, le commissaire Zamaron, le docteur Girardin et l'antipathique commissaire Descaves. Le philanthrope américain Albert C. Barnes a racheté la collection de Leo Stein quand il s'est séparé de sa sœur Gertrude, Il a créé une fondation avec bon nombre d'impressionnistes (plus de soixante-dix toiles de Renoir !) Après la Grande Guerre, Soutine n'a plus fréquenté Montparnasse. Il était désormais un peintre arrivé. Les dernières années de sa vie ont été terribles, car il craignait toujours d'être arrêté par les Allemands. Il mourut en 1943 sans être inquiété.
Cet ouvrage d'Emil Szittya est loin d'être une monographie et, bien que publié en 1955, il a véhiculé bien des histoires imaginées pour donner naissance à la figure du « pauvre » Soutine. Mais il n'en est pas moins vrai que c'est un document précieux qui nous fait découvrir bien des aspects méconnus et curieux de son existence.
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