Éd. du Canoë, 2021.
Lecture par Claire Fourier
Traité de l’élégance. – Parce je suis un archipel de lacunes, j’ignorais l’existence de Yang Ermin. Je découvre avec bonheur, grâce au petit livre que lui ont consacré les Editions du Canoë, ce peintre-poète, né en 1971, qui s’inscrit dans l’avant-garde chinoise des années 80, renoue avec l’esprit des « lettrés » – nous donnant à voir un raffinement et une spiritualité délicate qui succèdent à la brutalité de la Révolution culturelle.
Yang Ermin modernise le lavis en utilisant non plus l’encre noire, mais la couleur. Sa palette marie des camaïeux de mauve, rose, bleu, blanc, vert d’eau. Les tableaux représentent des paysages, des natures mortes (« natures calmes », en chinois), des fenêtres, des bouquets frais ou qui se fanent – dans une matière légère et qu’allège encore le flou propre au lavis, qui exhale une tiède et vivante haleine.
Ces « eaux colorées » de l’artiste, qui disent bien ce qui bouge et fuit, l’inachevé de l’existence, rappellent les « scènes du monde flottant » de l’estampe japonaise.
De là que Yang Ermin me paraît plus japonais que chinois. – Est-ce parce qu’il a épousé une Japonaise et séjourne fréquemment au Japon qu’il a remodelé la matière chinoise via un mélange de confucianisme et de shintoïsme ?
Sa sensibilité érudite l’a également ouvert à l’Occident ; la facture et le chromatisme des tableaux renvoient à Cézanne, aux pointillistes, à Vuillard, à Monet (juste retour d’influences).
Parce qu’il y va du sens plastique qui naît d’une contemplation à la fois ardente et mélancolique,
Parce qu’il y a là les aspects humbles et familiers qui appartiennent au temps qui passe et qu’il fait,
Parce qu’il y a là une volonté patiente et soucieuse d’échapper au vulgaire,
Parce qu’il y a là le sens de la mesure qui préside à la véritable culture,
Ces lavis dégagent une sérénité, laquelle repose sur l’attention à l’infime nouée au souci du spacieux, sur la reconnaissance de la noblesse des petits riens de la vie domestique – sur un mariage entre intimisme et majesté.
Yang Ermin traduit ainsi dans le tracé pictural ce que le haïku traduit dans le tracé verbal. Comme Basho, il « ramasse » la vie dans une concision paisible. Et lui aussi, écrit des poèmes. Le son juste et pénétrant du pinceau et de la plume propage en nous une émotion :
« Je soupire
Nous ne pouvons renoncer au bonheur […]
J’ai déjà attendu trop longtemps »
« Traité de l’élégance ». – Qu’est-ce que l’élégance ? « L’art de ne pas se laisser endurcir, enferrer dans des formules », disait Henri Focillon. Et aussi ? Un ascétisme d’esthète (ou de dandy) ? Un mélange de hardiesse et de modestie ? de gravité et d’enjouement ? La simplicité d’approche ? Le rythme régulier d’une vie jusque dans la foison disparate des états d’âme ? La retenue ? Un sens supérieur de l’ordre ? Tout cela, d’après moi.
Yang Ermin, un artiste pensif qui nous offre ce dont le monde est en manque : une lumière intérieure, une sensualité, la douceur d’un contact intime avec l’essence des choses, un « calmant cérébral » (selon la finalité que Matisse assignait à son œuvre).
Yang Ermin, « Traité de l’élégance », peintures et textes, avec présentation de sinologues, Editions du Canoë, 2019, 90 pages, 18 euros. Les Editions du Canoë publieront une série de livres sur l’art chinois.
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