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Éditions du Canoë

Tout vaut la peine si l'âme n'est pas petite
Fernando Pessoa

editions du canoe Bamboo SongLouis-Ferdinand Despreez

Bamboo Song

le plénipotentiaire du vent

C’est à une étrange croisière dans le temps que nous convie Louis-Ferdinand Despreez dans ce Bamboo Song. A-t-il rêvé le périple improbable de cet ambassadeur de l’Empereur Hailé Sélassié, Ras Makonnen, envoyé en mission auprès du roi du Laos à Luang Prabang en Indochine sous domination française pour obtenir protection devant les menaces de guerre de Mussolini sur son pays ? A-t-il rêvé aussi cet Extrême-Orient d’avant la Deuxième Guerre mondiale – Laos, Siam, Cochinchine, Cambodge où régnaient encore des cours munificentes ? A-t-il rêvé enfin une descendance imaginaire à Rimbaud dont un des pseudonymes était Jean Baudry ? Il nous emmène un siècle en arrière dans les odeurs enivrantes des frangipaniers, parmi l’or et les pierres précieuses, dans des contrées alors lointaines et inexplorées où la colonisation française n’avait pas encore partout établi ses moeurs et sa domination.

 

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21,00 €


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Louis-Ferdinand Despreez

Bamboo Song, le plénipotentiaire du vent

Éd. du Canoë, mai 2021

 

Lecture par Claire Fourier

 

Ah ! là là ! Y a des livres, on les trouve pas sous les sabots d’un cheval (sauf peut-être ceux de Pégase). Mais au « Pays du million d’éléphants », ah ! là là ! y a des livres, ils frémissent et volettent sous les sabots des pachydermes. Qui dit mieux ?

Bamboo Song. Depuis longtemps je n’avais lu un livre dont il se dégage autant de charme et qui transporte pareillement. Où ? Loin des miasmes de « l’Europe aux anciens parapets ». (Attendez-vous à croiser Rimbaud.)

Bamboo Song, le plénipotentiaire du vent. (Nous sommes tous des ambassadeurs de courants d’air.)

Bamboo Song. Un livre qui enchantera les jeunes oiseaux et les vieux birds. Un livre tel qu’on est tout chagrin quand on le referme : on était si bien dedans ! On baignait dans une saine gentillesse. On entendait la « musique apaisante des bouquets de bambous géants qui sonnent à la façon des carillons au moindre souffle de vent ». Quelle lecture agréable. Revenir à la première page, une fois tournée la dernière !

Bamboo Song. Un ravissement, vous dis-je. Mais encore, madame ? Las ! Je ne me sens pas à la hauteur pour bien en parler. Essayons.

D’abord ceci. Bukowski promenait ses guêtres dans une bibliothèque, se désolait : rien que des « livres morts ». Il tombe sur un ouvrage de John Fante : un livre « vivant » !

Eh bien, voici un livre VIVANT. Un livre plein d’épaisseur vibrante et jubilatoire – qui raconte et qui pense. Où tout sonne juste. Mariage heureux du vécu, de l’imagination et de la réflexion. Chaque image est suivie d'une pensée nourrie de tendresse mâtinée de dérision. (Ce que j’aime.)

L’auteur ? Louis-Ferdinand Despreez. Un sud-africain blanc, descendant de huguenots. Ancien haut-fonctionnaire proche de Mandela et de l’ANC, il a sillonné l’Afrique de long en large ; les habitants, noirs et blancs, il les a vus dans le blanc des yeux et sait que personne n’est ni blanc, ni noir. D’où un regard lucide et désabusé sur les colonisateurs, les colonisés, la décolonisation en marche – tout en haussant les épaules, l’air de dire : que voulez-vous qu’on y fasse ? Aimons l’humanité telle qu’elle est, au lieu de la braquer et de la rendre plus mauvaise qu’elle n’est. (Ah ! je suis d’accord.)

L’histoire ? On est en 1935. Un diplomate est envoyé par le négus Haïlé Sélassié 1er à Luang Prabang pour rencontrer Sisavang Vong, roi du Laos, en vue d’obtenir – puisque les « guignols » de la SDN n’y peuvent mais – un soutien destiné à contrer les ambitions de Mussolini sur l’Éthiopie. L’émissaire se trouve embringué dans des aventures incroyables (ou très croyables ?).
Admirablement conduit, le livre nous conduit tambour battant d’Addis-Abeba à Saïgon, via Aden, nous fait remonter les rapides du Mékong (on pense à Fitzcarraldo), débarquer à Ventiane, puis à Luang Prabang.

Je me garde de déflorer. Alors juste ceci : le diplomate, Aman Makonnen, sang-mêlé, « nègre abyssin presque blanc, aux yeux bleus » (fils de Rimbaud, qui sait ?), s’éprend du Laos, comme le fit au XIXe siècle l’explorateur Auguste Pavie (auquel l’auteur rend hommage). Séduit par la grâce d’un pays bienveillant, par une animalité bon enfant et une humanité meilleur enfant encore, il va peut-être, alors qu’il venait pour une brève mission, finir là ses jours, conscient d’avoir été un « ambassadeur du néant, un de plus au nombre de ceux qui se croyaient utiles ».

L’auteur assurément est inspiré. Imprégné par une ambiance, il en restitue l’envoûtement et la tranquille exubérance : on voit, on entend, on hume le Laos.
On est assis au café de Luang Prabang avec une bande de copains, colons dégrisés qui se grisent à l’anisette et aux discussions libertines sous l’œil indulgent du représentant de Dieu, non moins grisé par les envolées polissonnes.
On rit en écoutant cette « avant-garde de la déroute » brocarder les petits trafiquants, les gens huppés, la racaille (les uns et les autres, du pareil au même, « oisifs chroniques ») et se payer gentiment la tête des épouses alanguies dans l’air moite et qui s’étiolent (on pense à India Song), tandis que dans le secret des pagodes les laotiennes, fraîches et de bonne humeur, à la peau douce et cuivrée, ravigotent les époux.
On se régale des uppercuts visant les turpitudes d’une métropole et d’une Europe aveugle, tragi-comique, qui va et ne va pas (tout ça, si lointain).
On se rince l’œil et les papilles en déambulant au marché de Luang Prabang, plein de couleurs, d’odeurs et de soieries.
On est accueilli à la cour d’un roi sage et courtois qui habite une modeste pagode en bois.

On croise dans Bamboo Song le Céline du Cameroun (d’où le prénom de plume de l’auteur), le Rimbaud du Harar (qui déboule de manière aussi inattendue qu’adorable), on flirte avec leur poésie à tous les deux, leur farouche liberté d’esprit et de ton.

L’écriture ? À la fois directe et virevoltante, savoureuse. Des phrases lestes, quoique longues car truffées d’incises, lesquelles chez nombre d’auteurs freinent la lecture, donnent ici de l’allant, au contraire (le talent, que voulez-vous !). On goûte la verve, la richesse de vocabulaire, les titres à l’ancienne : « Le Mékong – Où le duc en route pour la cité royale découvre en piromoteur... » On se délecte à chaque page d’une langue irrévérencieuse, bondissante, entraînante.
On n’est jamais dans les clous. 
Charmé, notre esprit frétille comme un poisson dans l’eau (du Mékong), se repose aussi. Tout ça, jouissif.

Mais plus résolu que nous, Louis-Ferdinand Despreez a mis des actes au bout de ses mots : ancien « plénipotentiaire du vent » comme son héros, gagné à son tour par le « mal jaune », ne trouvant plus d’attrait ni aux missions officielles, ni au « long dérèglement de tous les sens », ayant décidé de « vivre au moins sans tourments », il vit aujourd’hui sur un bateau, en mer de Chine ou dans l’océan Indien. C’est là qu’il écrit.

Bamboo Song. Je ne sais comment ce gong insolite qui résonne d’un anarchisme délicat et d’un pessimisme allègre est monté à bord des éditions du Canoë. (Il a des ailes, tiens !) Mais avec Colette Lambrichs pour pilote, voilà des pages-coups de rame (ou caressantes comme des nuances) qui propulsent en cadence le frêle canoë et transportent le lecteur, plus qu’ « au fond de l’inconnu pour trouver du nouveau », par-dessus les sombres nuages qui aujourd’hui nous plaquent au sol.

Stop. Je vous laisse embarquer et remonter le Mékong. Un bain de fraîcheur dans les rapides vous attend. Ne risquant que votre vieille peau, vous risquez de faire peau neuve. Laissez-vous ravir, vos yeux vont briller de plaisir.

 

(Louis-Ferdinand Despreez, Bamboo Song, le plénipotentiaire du vent, éd. du Canoë, 380 p., 21 euros, 7 mai 2021.)

 

Claire Fourier, 4 mai 2021

 

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