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Éditions du Canoë

Tout vaut la peine si l'âme n'est pas petite
Fernando Pessoa

Eugène Durif - Lucia Joyce, folle fille de son pèreEugène Durif

Lucia Joyce, folle fille de son père

La force du livre d’Eugène Durif est d’être parvenu à l’écrire en se mettant dans la tête de son personnage : Lucia Joyce.

Danseuse avant d’être considérée comme schizophrène, sa vie est étroitement liée à celle de son père en train de terminer Finnegans Wake. Père qui se refuse à considérer la maladie de sa fille. « Elle n’est pas une délirante, explique-t-il. Ce n’est qu’une pauvre enfant qui a voulu trop faire, trop comprendre. » Tandis que Joyce termine Finnegans Wake, avant de mourir en 1941 en Suisse, Lucia, elle, se fige à jamais dans ces chambres d’hôpitaux ou elle demeurera jusqu’à sa mort. Il était pourtant persuadé qu’à la fin de l’écriture de ce monstrueux « work in progress », Lucia partie prenante de l’oeuvre, unie à elle comme, disait-il, une télépathe de son écriture, retrouverait pleinement ses esprits… Samuel Beckett, dont elle était tombée amoureuse alors qu’il travaillait avec Joyce, demeure le seul à lui rendre visite dans l’asile où elle terminera sa vie. Écrit avec une simplicité, une intensité poignantes, ce très beau livre nous permet d’approcher le milieu intime d’un immense écrivain en même temps que le drame d’un amour père-fille dévorant.

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18,00 €


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Mathias Lair, Boojum, 29 juin 2023

 

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Mathieu Antoine Jung, 23 novembre 2022

 

 

Eugène Durif, Maman chat

 

(Lucia Joyce, Through a glass, darkly)

Lucia Joyce n’a pas fini de nous hanter ou de nous fasciner, comme en témoigne le Lucia d’Alex Pheby (2018, qu’attend-on pour le traduire ?) ou encore Jerusalem d’Alan Moore. Je suis toujours très sceptique quand il est question de produits dérivés de la vie des auteurs, a fortiori de celle de James Joyce. Or, Eugène Durif s’en tire extraordinairement.

Durif a longtemps vécu en Joyce. Il a adapté Ulysse au théâtre pour Bruno Carlucci en 1975, nous apprend sa fiche Wikipédia. Mais le plus simple consiste à ouvrir son Lucia Joyce, folle fille de son père (Éditions du Canoë) pour comprendre que Durif sait de quoi il parle :

Un jour, je marche dans la rue avec Babbo. Les enfants se moquent de moi, rient de mon strabisme. Je suis toute petite, je n’ose plus regarder devant moi, je baisse les yeux. Ils se moquent aussi de papa et de ses gros verres de lunettes qui lui font de gros yeux. Ils lui crient : « Zieux de bœufs, zieux de bœufs… » Je voudrais les faire taire, ces sales mômes ! J’ai mal, j’ai honte, pour moi, pour lui !

Papa avait toujours des cailloux dans sa poche. Au cas où il rencontrerait un chien, pour le faire fuir. Il détestait les chiens autant qu’il aimait les chats. Sa cicatrice au menton, elle venait de là, ce chien qui l’avait mordu tout petit !

J’aimerais qu’il jette les cailloux sur ces gamins ! Ils ne méritent rien d’autre ! J’ai encore la honte à la gorge !

Durif arrive à donner à la voix de Lucia tout son grain, au sens où l’on dit de quelqu’un qu’il a un grain. C’est toujours comme ça que j’ai compris « le grain de la voix » selon Barthes, en trichant, en louchant un peu sur les mots. Cela me semble d’autant plus licite que Durif commence avec la « coquetterie » qu’a Lucia dans l’œil, avec ce strabisme qu’elle tient du côté de sa mère, la grande Nora dont Brenda Maddox a dit l’essentiel, après que Joyce en ait fait un des modèles de Molly Bloom, Das Weib par excellence. Joyce, lui, ne déchiffrait le monde qu’à la faveur de culs de bouteilles. C’est à travers ces terribles hublots qu’il observait la folie de sa fille — schizophrénie hébéphrénique, selon le jargon alors en vigueur.

Lucia et Babbo marchent à Trieste (ou bien est-ce à Zurich ? cela peut se vérifier, mais quelle importance ?), main dans la main. Durif place la scène sous nos yeux avec justesse et empathie.

Très vite, dans son monologue, Lucia évoque la fleur que lui avait un jour offerte son père, celle qui donne lieu au poème « A Flower given to my daughter », que Durif place en exergue de son livre… Je n’ai pas le cœur de pointer les détails, de me référer à Richard Ellmann ou encore à la belle biographie de Lucia par Carol Loeb Shloss (Fayard, Flammarion, Seuil, Gallimard quand traduit-on ce livre ?). Il semble que Durif fasse ici l’économie de cette dernière lecture. Il parvient néanmoins à nous emporter avec lui, ou plutôt avec Lucia, par la peau du cou. Pas de lecture mesquine, qui consisterait, loupe à la main, à confirmer ou à infirmer les vies ou plutôt les visions de Durif, non.

Willing suspension of finicky criticism, adoncques. Laissons-nous faire par la voix de Lucia, par ce grain que Durif arrive à saisir chez elle, sur 224 pages belles et hypnotiques, simples et profondes. Pour qui sait un peu lire, ce Lucia Joyce, plus accessible que celui de Pheby, met d’emblée en lumière une tache aveugle chez Joyce en comparant Lucia à Alice Liddell. On est toujours surpris d’apprendre que Joyce, le Joyce de Finnegans Wake, faisait davantage de cas de Dante ou des Mille et une nuits que de Lewis Carroll, bien qu’on trouve des traces d’Alice dans le Wake, comme d’étranges empreintes de souris dans le beurre au petit matin (« He addle liddle phifie » (4.28) ; « and that’s what wonderland’s wanderlad’ll flaunt to the fair » (374.2-3), etc.).

Il se trouve que Durif est un homme, avec une grosse barbe même, qui fait parler une femme. Lui en tenir rigueur serait aussi délibérément stupide que de vouloir faire son Sherlock Holmes à même son texte grandiose, lequel sonne juste sur bien des plans. Le débat sur écriture masculine ou féminine ne tient pas ici. Car Durif est une maman chat. Avec de la barbe, d’accord. Et il s’en explique : « Je me suis glissé dans la peau de cette femme. Dans ma vie, je n’ai cessé de croiser des gens atteints par la maladie de l’âme. On peut appeler cela comme ça, pour ne pas avoir à utiliser la nosographie et ce qu’elle a d’impersonnel. Moi je n’y arrive pas : schizophrénie, hébéphrénie, paranoïa… Je n’ai jamais supporté de localiser l’autre et son étrangeté aussi limitée. »

Durif s’est glissé « dans la peau » de Lucia. Soit. Je dirais plutôt qu’il saisit Lucia par la peau de la nuque, délicatement, avec amour, comme avec son chaton, et ce geste d’avant le sevrage permet de faire frémir le mythe, tous les mythes à la fois (c’est très joycien, quand on y pense). Ici, c’est Antigone menant Œdipe l’aveugle : « j’aimerais que tout me vienne en mots presque paisibles, ma main est restée prise dans celle de mon père, un jour à Trieste, Babbo serre fort ma main, je guiderai tes pas, je t’ai promis un jour que j’écrirai un roman qui s’appelerait La vraie vie de James Joyce ». Ailleurs, c’est le vieux Lear avec Cordélia. Années folles à Paris, bien sûr, alors que s’écrit le grand livre de nuit et que la nuit va bientôt recouvrir le monde.

À la même époque, Artaud voyait (ou imaginait avoir vu) la « Parole d’avant les mots » au spectacle de danseurs balinais. Joyce l’écrivain illisible et Lucia la danseuse folle réunissaient l’art de la trace à celui du geste, inventant aussi bien, et à eux deux un nouveau théâtre des affects. Il y a des livres excessivement savants qui en parlent (on n’est jamais assez savant quand il est question de Joyce), mais Durif emprunte une diagonale sauvage dans l’œuvre-vie de Joyce qu’il tâche de relire par cet outil magique qu’il a su faire sien tout en l’inventant, celui de la voix de Lucia.

Ce Lucia Joyce est en somme un livre dont tout lecteur de Joyce s’est pris un jour à rêver. Je pourrais volontiers continuer d’écrire au sujet de Maman chat, mais je préfère m’arrêter là et tout simplement écouter la voix de Lucia trempée dans les eaux mêmes du Wake.

Papa, emmène-moi encore, non, on ne part plus, tout s’est arrêté, ô p’pa, c’est un sommeil qui nous prend et les mots nous viennent à la bouche comme des lumières furtives, dans une fête foraine où ça clignote, où ça bouge encore, p’apa, des feuilles nous tombent sur le visage, un chemin de terre où je marche derrière toi, ô p’pa, on est perdus, mais tu es devant moi et je te suis, ces mots qui nous viennent, ça s’agrège, ça se défait, si plus rien n’est assuré des mots qui nous emmènent sur ce chemin, que vais-je devenir sans toi ? Dans le noir, c’est ta main encore que je serre, emmène-moi à la fête foraine.

 


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Evelyne Sagnes, Désir de lire, 28 novembre 2022

 

Lire l'article : https://desirdelire.fr/

 


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Jean-Pierre Han, Les Lettres Françaises, novembre 2022

 

article Les Lettres Françaises complet

 


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Lucia Joyce, folle fille de son père - Lecture par Claire Fourier

 

Lucia Joyce, folle fille de son père. – C’est le titre du livre vivant, plein d’allant, qu’Eugène Durif consacre à la jeune femme, d’abord artiste, danseuse, dessinatrice, puis un jour internée pour démence.

Livre singulièrement poignant.
Pourquoi ? C’est le monologue d’un ventriloque amoureux. C’est Lucia qui s’exprime, via l'auteur. La voix masculine s’est glissée dans la voix féminine. Voix masculine qui se fait délicate pour faire entendre la voix féminine affolée – ne pas la laisser fuir.

Eugène Durif nous restitue ainsi la douleur de Lucia, et le fait avec une telle justesse que le cri de douleur de la vulnérable jeune fille en paraît allégé – alors même que la complainte gagne en intensité au fil des pages – et que le cœur, qui nous serre de plus en plus face à l’amoureux lamento de Lucia, se desserre au fil des pages aussi.
Tel est le paradoxe d’une écriture généreuse qui est allé au cœur d’une souffrance, a touché le point nodal d’une folie plus douce que furieuse.

On ressent là comme le froissement d’une soie que l’on plie, un vol de papillon et le bruissement des ailes bientôt épinglées.
Je fus saisie.

Lucia s’adresse donc à son père, sa mère, son frère, à une famille dont tous les membres sont noués les uns aux autres d’une manière stupéfiante. Amour parfois rageur, toujours ardent et plein de sollicitude.
Lucia s’adresse à Beckett dont elle s’est éprise et qu’elle a rencontré à la maison quand il était jeune assistant de Joyce. (M’ont frappée dans les pages à lui consacrées des accents qui rappellent ceux d’Héloïse écrivant à Abélard après que celui-ci l’a quitté, dans « Une Passion » de Christiane Singer.) La jeune amoureuse s’adresse à Sam dans une longue imploration admirablement portée par le style cadencé de l’auteur : « Pourquoi m’as-tu quittée ? Pourquoi ? Je ne sais pas y faire, je me donne toute, colle-toi à moi ! Tu aurais pu me sauver, un tout petit geste »…
Mais est-ce Sam ou Babbo qu’implore la jeune fille instable et sans défense ? « Babbo, papa, je t’aime ! Dis-moi tout, papa, sur moi »...
Oh, ce leitmotiv ! Oh, que la voix de Lucia-Anna-Livia est arachnéenne et délicate ! fraîche en son ardeur même !

Voilà un livre plein de tendresse et d’humanité qui procède visiblement d’une longue intimité amoureuse de l’auteur avec son personnage.
On devine que c’est avec une douce et infinie patience qu’Eugène Durif a fait chair en lui de la fragilité de la jeune femme, laquelle a fini par lui inspirer une sorte de cantique.
Oh, comme un chant d’amour fait du bien par les temps qui courent !

Et j’admire qu'Eugène Durif su rendre justice à l’innocente jeune fille qui, gracile Iphigénie, fut sacrifiée, et l’accepta par amour, sur l’autel de la fabuleuse et folle écriture de son père.

(Eugène Durif, Lucia Joyce, folle fille de son père, éd. du Canoë, 2022, 224 p., 18 euros.)

 

PS. Bien entendu, je me suis sentie proche de ce en quoi j'ai vu un pendant masculin à mon Tombeau pour Damiens où, en me glissant dans la peau du prétendu régicide de Louis XV et en faisant chair en moi de l’écartelé, j’ai prêté ma voix au supplicié pour faire entendre la sienne.
Ajoutons que j’ai passé l’âge de m’attarder aux livres qui eux-mêmes s’attardent à la rancœur et à l’amertume.

Claire Fourier, 15 octobre 2022


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Nikola Delescluse, Paludes, 21 octobre 2022

 

Ecouter : https://soundcloud.com/nikola-delescluse/eugene-durif-lucia-joyce-folle-fille-de-son-pere

 

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